Excès



- Aylan-


L’Enfant est là
Face contre terre
Mort
Aylan Kurdi, 3 ans, la photo choc du drame des migrants.
C’était il y a un peu plus d’un an, après le naufrage au large de Bodrum d’une triste embarcation qui tentait de rallier l’Europe via l’ile grecque de Kos.
Des enfants blessés, tués dans des massacres viennent hanter notre quotidien.
« C’est la routine », lance un photographe syrien, « ça vous choque ?»

Oui

Cette photo a fait le tour du monde en moins de temps qu’il n’en faut à la terre pour tourner sur elle même.
Démesure…
A-t-on franchi une limite, transgressé une règle tacite ?

Oui

On ne montre pas un enfant mort, même si c’est pour la bonne cause.
Un mort, c’est sous un linceul, on lui couvre les yeux.
Photo banalisée à souhait, la cause qu’elle soutient aussi.
Le soufflet est retombé aussi vite qu’il était monté.

Alors, lui redonner vie un peu à cet enfant, dans la peinture…
Mais pour cela, il faudra passer au-delà de ma propre limite
Celle de porter mon regard sur l’image d’un enfant qui a souffert, qui en est mort
Celle de relayer le scandale d’une fascination collective pour le morbide, pour le sensationnel,
Celle de douter en permanence de savoir s’il faut laisser plus pour témoigner de toute l’horreur, plus qu’une feuille de papier glacé, ancrer celà dans la peinture, réincarner celà dans la peinture….

Ou alors être soi-même au delà de l’excès

Une toute petite image de rien du tout pour dire tout ça, comme adresser une prière à une icône.

Ou alors

Défier le bon goût pour faire croire un instant que c’est là que l’excès se cache…
Mais personne ne se leurre, l’excès est bien ailleurs.



« Aylan », Huile sur toile (35x26,5cm) – Masque, tuba, fleurs artificielles.

La lettre de rupture



Mars 2016 - Expo "Intimacies", le 6B

En 2007, à l'occasion de la Biennale de Venise, l'artiste Sophie calle demandait  à 107 femmes, choisies pour leur métier, d'interpréter  et de réagir sous un angle professionnel à un mail de rupture qu'elle venat de recevoir.

J'ai imaginé une possible réponse à cette lettre....



J’ai tant espéré vous lire…
Tant de jours à guetter un appel, à me consumer dans l’attente de vos mots…
Mais encore ce silence,
Assourdissant,
Gluant,
Tenace,
De ceux qui collent à la peau et crient déjà la volonté d’oublier.
Ce silence comme une fuite,
Une échappée pas belle
Ce silence tranchant comme une lame acérée,
Qui ne laisse de choix que celui d’attendre et se taire

J’ai attendu. Je me suis tue.

Je me sentais contaminée par vous
Un virus dans les interstices de ma vie
Et que mon corps parfois ne pouvait contenir
Caché entre les lignes, les mots,
Gracieux, sordide, d’une puissance terrifiante…
Votre silence m’a empêchée de respirer.

J’ai pleuré
Pleuré si fort de ton indifférence
Des larmes acides que tu ne soupçonnais même pas.
J’ai même caressé ta photo sur un écran,
Senti la douceur de ta peau sous la surface lisse et froide
J’ai effleuré ta bouche
Suivi le contours de tes traits
Ranimé la mémoire de ton souffle.
Je me suis enveloppée de ce souvenir un instant plus réel que tout le reste.
J’ai retenu ma respiration pour que rien ne s’échappe…
Ton silence immense a tout englouti,
L’espoir, le doute, la colère.
Avant que de savoir, je savais.

Aussi ces mots que je reçois de vous ne m’atteignent-ils pas toute entière.
Ainsi vous voilà, tout petit, impuissant à  calmer vos démons,
Si lâche…
A vous lire on vous croirait happé par de mystérieuses forces
Entrainé malgré vous vers de cruels abysses où l’angoisse vous étreint ;
Mais vous êtes seul maître à bord.
Vous attendiez de moi que je sois le remède miracle à votre intranquillité…
Me croyez-vous si naïve pour avoir caressé un instant l’espoir de vous faire changer ?
L’espoir de vous sauver,
Malgré vous ?
Vous parlez de lutte, là où je parle d’amour
Vous parlez d’engagement, là où je parle d’amour
Vous parlez de bénéfice, là où je parle de bonheur…
Vous ne voyez que vous.
Que m’importe votre franchise, votre honnêteté, qui n’est autre qu’une indulgence à cette lâcheté qui vous habite.
Cessez donc de m’aimer, de cette manière qui fut la vôtre !
Cessez donc de m’aimer tout court !
Nous ne nous verrons plus.
Et cela n’est ni injuste, ni désastreux.
La pire des mascarades, ce ne sont pas ces infidélités que vous évoquez à demi-mot
La pire des mascarades, c’est d’être étranger à vous-même au point de vous croire capable d’aimer.

Les masques sont tombés.

N’ayez crainte, je prends soin de moi.

Jour Blanc




La vidéo "Jour Blanc" est un travail de pixellisation d’une image unique à la manière d’un stop motion dont l’objet est de refléter la sensation de perte de repères caractéristique du « jour blanc »
Elle a été présentée lors de l'exposition collective "Là-Haut" , au centre d'art la Graineterie, à Houilles (78)
(en Janvier -Mars 2016)

Tavurvur - Huile sur toile 2015 - 130x97cm
Dionysia - Huile sur toile 2015 - 130x97cm

Restraint

2009-2013



Pour commencer, je choisis un objet parmi ceux qui m’entourent, je le place dans une boite, recouvert d’eau, dans un congélateur.
J’attends.
Je photographie ensuite l’objet ainsi piégé dans la glace.

Je me place alors dans la position de l’archéologue qui aurait fait une trouvaille, jouant sur les changements d’états de la glace, sur la lumière, et dans un deuxième temps sur la manipulation photographique, pour révéler l’objet.

Ainsi traité, il est coupé de sa neutralité fonctionnelle, la glace lui confère un statut de témoin à explorer, d’objet mystérieux. Il traverse un cycle intimement lié à celui de l’eau. La fonte totale de la glace va rompre la magie et le rendre à son état premier.
Il arrive que la glace, à la manière des cendres de Pompéi, fige le dispositif dans un équilibre précaire, ou dans l’illusion d’un mouvement.
Je provoque alors la fonte jusqu’au point de rupture de cet équilibre ou de ce mouvement, ce qui amène le spectateur à un sentiment de fatalité, d’impuissance.
La glace porte en elle les germes de la création et de la destruction : elle fige, donne l’illusion d’un mouvement possible, et en même temps l’empêche, le contraint, jusqu’à le rompre lorsqu’elle redevient eau.

Au final, ce travail réactive la mémoire de notre finitude, et questionne le temps qui passe et notre manière d’appréhender le réel.

Comme Damian Hirst dans sa série d’animaux dans le formol, initiée par « The physical impossibility of death in the mind of someone living », j’aime l’idée « d’utiliser une chose pour décrire un sentiment ».
Je m’inspire aussi de Daniel Spoerri dans le « Déjeuner sous l’herbe », en invitant le spectateur à regarder l’objet comme on regarde une découverte archéologique pour tisser une histoire, tout en l’amenant à ranimer une mémoire collective où l’objet devient symbole.